Michel Prin : parcours politique et syndical d'un ancien de chez Kodak

Figure sevranaise bien connue pour son engagement politique (ancien Maire-adjoint et conseiller général de Sevran) et syndical (ancien ouvrier syndicaliste aux usines Kodak), Michel Prin, à l'occasion des élections municipales de 2014, a décidé de réaliser des chroniques régulières sur le site de campagne de Clémentine Autain afin de retracer son parcours. Cette page de vie en est la retranscription intégrale.

 


Avertissement

La teneur militante de ce texte n'engage que son auteur

Le contenu de ce témoignage n'est à percevoir qu'au travers de

sa valeur intrinsèquement locale et historique

 


 

 

 

 

Épisode 1 : Kodak, le lien de ma province vers Sevran

 

 

     Vous parler de Sevran, c’est pour moi un tryptique : ma vie, la vie de Kodak, la vie de Sevran. Et le fil rouge de cette histoire, c’est ma vie militante au Parti Communiste Français.

 

     L’histoire commence il y a 50 ans, un demi-siècle. Mon enfance, s’est déroulée dans une famille de la bourgeoise bordelaise, catholique, très pratiquante. J’ai été élevé dans des écoles privées avec d’autres enfants de grandes familles. Nous vivions dans un hôtel particulier qui venait de mon grand-père. Mes parents étaient proches de Jacques Chaban-Delmas.

 

     Mais la maladie à 9 ans, crises d’épilepsies toutes les semaines jusqu’à 13 ans, m’empêchent de poursuivre mes études. Mais un appareil photo Kodak à soufflet au fond d’un vieux tiroir me conduit à ma future vocation. A 11 ans, je me passionne aussi pour le cinéma. A 14 ans, j’ai trop de retard pour faire de longues études. Je m’oriente vers une formation en alternance entre un employeur, le studio FLORIAN, le plus grand photographe de Bordeaux, spécialisé dans la photo de bébé, et l’école technique des Beaux-Arts de Bordeaux, où je côtoie la formation vers la photo, le cinéma, la coiffure, ma maroquinerie…

 

     A cette époque, les jeunes de Bordeaux rêvent pour réussir de « monter à Paris ». Après avoir terminé ma formation de photographe et avoir obtenu mon diplôme, j’apprends que Kodak ouvre un laboratoire sur Bordeaux. Mes connaissances dans la couleur sont recherchées et sans mal j’obtiens mon embauche. L’été se passe très bien. Avec les plages de l’Atlantique, le volume de travail dépasse nos espérances. Mais pour agrandir et moderniser le laboratoire, il est nécessaire de fermer pendant 6 mois et de suspendre les contrats. Mes antécédents au niveau de ma santé, dans une période où les hôpitaux militaires sont remplis de blessés de la guerre d’Algérie, conduisent à ce que je sois réformé du service militaire.

 

     Dans le labo Kodak de Bordeaux, je sympathise avec le responsable de la couleur : il s’appelle Monsieur Ruiz et arrive de Sevran. Il a quitté la région parisienne après le décès de son épouse. Il me raconte tous les jours sa vie à Sevran…Lorsque le labo de Bordeaux ferme, il me propose d’aller à Sevran pour apprendre les nouvelles techniques. Malgré l’opposition de mes parents, je prends ma 4cv Renault le jour de la Toussaint et je quitte Bordeaux pour me rendre à Sevran. Je ne connaissais pas ce « village » de la région parisienne mais à 10 km de Notre Dame de Paris, au bord du canal de l’Ourcq, bien desservi par une ligne SNCF (on ne disait pas encore le RER ) et par une ligne de bus, le « STEPA », je n’ai pas hésité à aller faire un bout de ma vie à « Paris ».

 

 

Episode 2 : La découverte de Kodak, l’arrivée à Sevran

 

 

     Sevran, un nom connu dans la photographie. Depuis quelques années tous les passionnés de photo et de cinéma amateur envoyaient leurs diapositives ou leurs films 8mm à Kodak-Pathé, rond-point Georges Eastman à Sevran pour faire développer leurs « bobines », dont le prix de vente était « développement compris ». Ce laboratoire de Kodak était le plus important laboratoire de France. Pendant les périodes d’été, avec les saisonnières, plus de 2100 personnes y travaillaient en 1964, avec une très grande majorité de personnel féminin. Kodak était une entreprise de type paternaliste, comme L’Oréal vers Chanteloup sur Aulnay-sous-Bois.

 

 

    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                      "Usine des films Kodak" (4Fi 709, AM de Sevran)                                                                                "Ateliers Kodak" (4Fi 710, AM de Sevran)                                               

      Entre la Toussaint 1963 et le printemps 1964, Kodak licencie une partie de son personnel par manque de travail. Il m’est demandé de passer 3 à 4 mois dans la grande usine Kodak de Vincennes, en attendant mon arrivée à Sevran en février 1964. Là-bas, il y a des conditions de travail difficiles, je travaille en trois huit, et je fais connaissance avec des syndicalistes de la CGT et des militants du Parti communiste. Pour moi, issu d’un milieu bourgeois, la CGT était la compagnie générale des transports qui employait les dockers sur le port de Bordeaux. Je ne connaissais « rien » du syndicalisme, encore moins du Parti communiste, si ce n’est que j’avais souvenir que mon père m’avait puni dans ma jeunesse car je m’étais fait un copain « communiste » et qu’il m’avait interdit de lui parler. Mes collègues communistes me parlaient de la fête de l’Humanité qui se tenait à l’époque à Vincennes. Dans cette usine, je découvre un monde que je ne connaissais pas. J’apprends à vivre sur mes propres ressources, à savoir ce qu’est une feuille de paie, ce que c’est de gérer son budget et de tenir le coup jusqu’à la fin du mois. De trouver une chambre meublée pour dormir. De vivre en dehors du « cocon » de ses parents. Mon père refusait de m’aider. Il n’attendait qu’une chose, que je revienne à Bordeaux.

 

     Le printemps 1964 arrive, M Pornet, le chef du laboratoire de Sevran (on n’aimait pas dire « usine ») me convoque le 18 février pour commencer à « la photo couleur ». Pour cela, je dois trouver une chambre meublée à Sevran, c’est le parcours du combattant, je fais du porte-à-porte dans le quartier sud. Une dame, Mme Astruc, avenue de Livry, me propose son aide. Elle et son mari qui occupent des postes importants à Kodak téléphonent à des personnes de leur entourage pour me trouver une chambre avenue Gambetta. Plus tard, je retrouve M. Astruc dans les cérémonies des anciens combattants de Sevran, il était président de l’UNC.

 

 

Episode 3 : Mon travail chez Kodak

 

 

     Le printemps 1964 arrive. Je travaille en équipe dans le laboratoire de la photo-couleur, appelé aussi Kodacolor. La semaine normale de travail à cette période est de 47 heures 30 par semaine avec beaucoup d’heures supplémentaires pendant la « saison ». Dans la première quinzaine de septembre 1964, j’ai fait des semaines de 60 et même 70 heures de travail. Cela donnait une durée normale de 9h30 par jour.

 

     L’équipe du matin commençait à 6h jusqu’à 15h30, déjeuner compris; celle du soir commençait à 15h15 pour finir à 0h45. Le personnel féminin ne travaillait pas de nuit (22h à 6h du matin), les femmes commençaient à 6h du matin mais se chevauchaient avec l’équipe du soir pendant les heures du midi. Dans l’atelier voisin du ciné, appelé aussi Kodachrome car on y traitait tous les développements des film 8mm et des diapositives, les hommes travaillaient en « 3 × 8 » pendant l’été, les machines de développement s’arrêtaient uniquement pendant les périodes d’entretien et les week-ends.

 

     Entre la photo-couleur et le ciné, les effectifs étaient au 3/4 occupés par du personnel féminin. Et la moitié de ces deux services travaillait dans des chambres noires, ou très peu éclairées. Les plus anciens dans les effectifs avaient travaillé sur les machines de tirage et de développement noir et blanc avant les années 1950. Entre la création de cette usine-laboratoire par Kodak et Pathé en 1925 et les années 1950, il n’y avait que le grand bâtiment 1 situé sur la partie gauche des terrains, en rentrant par le rond-point Georges Eastman (fondateur de la société Kodak et inventeur du premier appareil photo amateur utilisant des bobines sur un support celluloïd), ainsi qu’un pavillon à l’entrée pour le gardiennage et le célèbre château d’eau.

 

     C’est après les années 1950 que l’usine a pris son envol. L’arrivée de la photo couleur sur papier, des films de cinéma couleur amateur et des diapositives à projeter ont révolutionné l’usine, mais aussi Sevran. De toute la France, par La Poste ou des véhicules de ramassage, toutes les photos et tous les films arrivaient par sac avec une adresse connue : Kodak-Pathé, avenue Victor Hugo, Sevran. Les effectifs sont passés en quelques années de 300 personnes à plus de 1000, sans compter les saisonnières et même des étudiants qui venaient travailler pendant leurs vacances scolaires.

 

     Entre 1964 et 1967, années record en effectifs, plus de 2100 personnes y travaillaient pendant le mois d’août, en comptant l’ensemble des services : les bureaux de la direction, la comptabilité et le service paie (nous étions payé en liquide à la semaine), le service commercial, les premiers ordinateurs…dans le bâtiment 27 frontal, les stocks de produits finis et les fabrications diverses dans le bâtiment 23-1, 2, 3, la réparation des appareils photo-ciné et autres Kodak dans le bâtiment 27 sans compter le restaurant du personnel (où va se construire bientôt l’école Denise Albert), l’infirmerie, la chaufferie, et le P.C.S. (fabrication de produits chimiques spéciaux).

 

 

Ancien restaurant du personnel de Kodak

 

 

Episode 4 : Entre Kodak et Westinghouse, Freinville

 

     Entre mon arrivée à Sevran en février 1964 et mai 1968, beaucoup d’évènements vont marquer ma vie. Tout d’abord pendant l’été 1964, où je change de chambre meublée pour rejoindre deux collègues de travail : un Espagnol qui avait fui le Général Franco et un Breton. C’était un pavillon au bout de la rue Ernest Pivot.

 

     Dans le pavillon voisin, je fais la connaissance d’une jeune fille qui deviendra mon épouse. Nous décidons très vite de nous marier, et selon la tradition familiale, ils viennent tous : mes parents, mon frère et ma sœur, pour faire la connaissance de mes futurs beaux-parents. Les deux familles de milieux différents sont consentantes et en mai 1965 le mariage civil et religieux se fait avec les deux familles. Le repas du soir a lieu au « Trianon », avenue Liégeard à Freinville ; c’était une ancienne guinguette (aujourd’hui une nouvelle résidence).

 

 

Avenue Liégeard (4Fi 448, AM de Sevran)

 

     Proche de Freinville, rue Massenet, nous achetons avec l’aide de ma grand-mère un une pièce-cuisine, pas de salle de bain, les WC pour cinq familles sous l’escalier. C’était un pavillon vendu « à la découpe » par l’agence ALIX. A cette période, les appartements à louer à Sevran étaient très rares. Mon épouse travaillait à la Westinghouse comme câbleuse-soudeuse depuis début 1964…comme moi. Ce logement à proximité de Kodak et de Westinghouse était une aubaine surtout avec le quartier de Freinville au centre.

 

     A cette époque, Freinville était animé : il y avait deux boulangeries et pâtisseries, une charcuterie, une boucherie traditionnelle et une boucherie chevaline, un tripier, un libraire marchand de journaux, une épicerie, un électricien, trois coiffeurs, un teinturier, un grainetier, une mercerie et un magasin de vêtements, deux garages (l’un rue Richelieu qui n’était pas encore l’agent Citroën et un autre en face de la Westinghouse, à l’emplacement des logements HLM de la Sablière). Sans compter aussi un marché aux comestibles sur l’emplacement du magasin DIA, des hôtels-restaurants-cafés dont «Les 3 marches » et « Marinette», et le cinéma de quartier « le VOX » dont la salle inoccupée existe toujours. On peut apercevoir l’entrée du VOX par la rue du Maréchal BUGEAUD.

 

     Et pour venir à Freinville un arrêt du STEPA qui assurait une liaison du métro Jaurès à Paris jusqu’à Sevran, et la célèbre Micheline de la SNCF qui assurait la navette entre Bondy et Aulnay-sous-Bois sur la ligne des Coquetiers. Avec les travailleurs de Westinghouse, de Kodak mais aussi d’Idéal-standard et de l’Oréal à Chanteloup, c’était un quartier bien vivant ou près de 2 à 3 000 personnes passaient chaque jour pour aller travailler. Parmi eux, les hommes en bleu, les métallos de la « Westingue » comme on disait, qui fabriquaient les systèmes de freinage pour les motrices et wagons de la SNCF, et même les prototypes des freinages des futurs TGV dans la célèbre « BALEINE ». Mais derrière tout cela il y a du mécontentement, des revendications, une volonté de changement. Mai 68 approche !

 

 

Episode 5 : Comment j'ai rejoint le Parti communiste

 

 

     Ce soir-là je devais la rejoindre vers 18h30 au café « le Trianon » où se tenait la réunion de la cellule de « la Westing », la cellule Maurice POCHARD (toutes les cellules portaient le nom d’un communiste qui a marqué l’histoire). Mon épouse était « communiste » et moi … j’en étais loin. A cette réunion, je fais connaissance avec 2 adhérents. Jean-Pierre LEMOINE et Claude MARTIN dont l’épouse travaillait à Kodak.

 

     En mai 1966, c’est la naissance de notre fille Myriam (qui signifie Marie). Mes beaux-parents assurent le rôle de nourrice. Début 1967 je suis invité par la section syndicale CGT de Kodak à « la remises des cartes ». Ils me présentent sous le nom de « c’est le mari d’Arlette ».

 

     Je comprends l’utilité de se syndiquer pour mieux s’unir et se défendre, je prends ma carte, et je me sens beaucoup moins isolé dans l’usine. J’assiste aux premières réunions syndicales. Paul Plantec, le secrétaire de la CGT me propose d’être « sur la liste » pour devenir délégué du personnel dans le bâtiment 1. En avril 1967 je suis élu. Il était très difficile d’avoir des congés pendant l’été mais pour partir avec mon épouse (Westinghouse fermait 1 mois pendant l’été) et avec notre bébé j’obtiens 15 jours de vacances. Nous descendons passer nos vacances dans la villa de mes parents à Arcachon. Mon père est « Gaulliste » et il ne faudra pas parler politique.

 

     Le 16 octobre 1967, vers 15h, je travaillais sur un agrandisseur dans un box, dans le noir complet. Une immense détonation, la porte s’ouvre brusquement, je vois courir tous mes collègues en criant « il faut sortir ! » Au dehors nous apercevons un immense champignon comme on en voit sur les photos d’essais atomiques. Des cris : « c’est le PCS qui a sauté ! » (PCS : fabrication des produits chimiques spéciaux). Sortant des fumées, on y voit un jeune avec les vêtements et les cheveux en flamme. Un autre chimiste de 19 ans est mort dans l’explosion. A 20 heures, le journal télévisé de la 1ère chaîne est en direct depuis l’entrée de l’usine. Tous les délégués CGT et FO sont présents. Et arrive une personnalité importante qui va être interviewée, le Député de la circonscription, « élu communiste », Maire d’Aulnay-Sous-Bois et président du groupe communiste à l’Assemblée Nationale : c’est Robert Ballanger. André STEIBLI me présente à « Robert ». A ma grande surprise, il me propose de venir le voir dans son bureau de la mairie… Mais pourquoi ?

 

Pièce du rapport suite à l'explosition du 16 octobre 1967 (Fonds Prin, 3S 17, AM de Sevran)

 

 

Episode 6 : 1968, une année qui ne s'oublie pas !

 

 

     Les fêtes de fin d’année 1967 se sont vite passées, il ne fallait pas « trop dépenser » pour rembourser l’achat de notre pièce-cuisine mais nous avions passé Noël à Bordeaux et le nouvel an avec la famille de mes beaux-parents à Livry.

 

     J’avais rendez-vous ce début janvier avec ce grand monsieur qui m’intimidait, le Député Robert Ballanger. Il me reçoit dans son bureau, en haut du grand escalier de la mairie d’Aulnay-Sous-Bois. Il me parle « du parti », de « Kodak », de « « Sevran » et des prochaines élections législatives prévues le 23 juin. Lui comme moi ne pensions pas encore à ce qu’allait être le mois de mai.

 

Bulletin de vote au nom de Robert Ballanger à l'occasion

des élections législatives de mars 1967 (sans cote, AM de Sevran)

 

     J’apprends que la direction Kodak avait licencié vers 1965/1966 le secrétaire et le trésorier de la cellule de Kodak car ils avaient dans leur casier le journal « l’Humanité » et quelques tracts du PCF. Depuis, la cellule Daniel Féry était resté inactive. Daniel Féry, en hommage à ce jeune communiste de 16 ans, mort de la répression policière sous les ordres du ministre Roger Frey & du préfet Maurice Papon, au cours de la manifestation du 8 février 1962 au métro Charonne pour dénoncer la guerre d’Algérie & les actions de l’O.A.S.

 

     Dans la clandestinité j’aide Robert Ballanger et la section du PCF à être présente à nouveau à la porte de l’usine, pour publier à nouveau le journal de la cellule, « Le Voyant rouge ». Nous écrivons les articles et les camarades des autres cellules viennent assurer la distribution le matin ou le midi.

 

     En avril 1968 nous assurons notre conférence de section PCF pour préparer le congrès national. André nous fait un rapport de la situation, les luttes dans les entreprises et chez les étudiants dans les facs, la solidarité pour le Vietnam avec une collecte pour envoyer un bateau rempli de marchandises, les prochaines élections législatives. Je fais connaissance des autres secrétaires de cellule de Sevran. Roland THIRAULT dont le père a été conseiller municipal avec Auguste CRETIER ou Georges BUSSIERE, Roland deviendra l’adjoint au maire de Bernard VERGNAUD , Georges CARON qui était le chef de gare à Sevran-Livry, Eliane GOUINAUD dont le mari était chauffeur de taxi, Lucienne K était la trésorière de section, Suzanne FAVRE, Francis HELLIO et Jean-Pierre, Claude, Marguerite, Francine. Le congrès n’avait pas encore lieu que le pays est en lutte. Les étudiants occupent les facultés, puis c’est au tour des entreprises, RENAULT à Boulogne.

 

     Dans le département de la Seine-Saint-Denis, les travailleurs occupent les usines une par une, Idéal-standard, puis Westinghouse. Avec Paul PLANTEC, le secrétaire de la CGT de Kodak, nous décidons de proposer l’occupation de l’usine ce lundi, juste le temps d’un week-end pour préparer. Nous devons le faire dans l’union avec le syndicat Force ouvrière. Pour cela il faut contacter Francis LAFONTAN, le secrétaire. Je vais le dimanche matin chez lui mais son épouse me dit qu’il se trouve dans l’église Saint Martin de Sevran. Rentrer dans une église ne me faisait pas peur. Je vais le chercher pendant la messe. Il nous propose de distribuer un tract commun appelant à un meeting le lundi à 9h à la porte de l’usine.

 

     Le meeting a lieu. Tous les Kodak votent l’occupation à main levée. On va finir la prise de parole à côté de la chaufferie sur le tas de charbon. Les grilles sont fermées, cadenassées. L’occupation de l’usine commence. Les deux syndicats s’organisent pour assurer l’entretien des machines pendant l’occupation. Qui a duré 3 semaines. Rassemblement tous les matins pour voter la poursuite de la grève. Il faut tous les jours entre 10h et midi rejoindre nos collègues de Vincennes et du siège pour aller voir et négocier avec la direction générale. L’après-midi les syndicats m’ont demandé d’organiser les animations, je fais venir des artistes comme Francesca SOLLEVILLE, Isabelle AUBRET, MOULOUDJI & bien d’autres…

 

 

Episode 7 : De la lutte syndicale de 1968 aux élections municipales de 1971 pour l'avenir de Sevran

 

 

     Mai 1968 est fini, c’est la victoire. Après 3 semaines de grève, avec occupation de l’usine, que ce soit à Westinghouse, ou à Kodak-Pathé (lire mon article dans la revue de la SHVS, n° 17 d’octobre 2008, encore disponible), c’est l’heure du bilan. Mon taux horaire passe de 4,82 francs à 5,21 de l’heure soit une augmentation de 10,8%. A cela s’ajoute la réduction du temps de travail, même si nous étions loin de penser à la semaine de 35 heures. Amélioration des primes de risques et des primes de nuit ou de week-end. Augmentation du nombre de jours de congés de 3 à 4 semaines par an. C’était un progrès.

 

     Cet été 1968 a donné un coup de souffle au pouvoir d’achat comme aux profits de l’Eastman Kodak compagnie. Beaucoup plus de départs en vacances donc beaucoup plus de photos sur papier & de diapositives. J’avais organisé pendant l’occupation de l’usine des animations et le comité d’établissement décide de les continuer en y créant une commission « loisirs et culture ». Une trentaine d’heures par mois me sont alloués par la direction pour faire de l’animation. J’organise des voyages pour le personnel à Londres, à Venise, à Palma et même à Moscou. J’organise des ventes dédicaces de livres et de disques dans le restaurant et j’y fais venir de nombreux artistes dont Isabelle AUBERT, Serge LAMA, Serge REGGIANI…

 

     Avec l’aide de l’animateur culturel du comité central d’entreprise, Jacques MARECHAL, je crée des soirées –cabaret pour le personnel, le premier chanteur qui vient se produire s’appelle Yvan DAUTIN, c’est vers 1972. Il chante << La Méduse… de saint Malo >>. Notre cabaret va s’appeler La Méduse. Après son tour de chant, Yvan ne traine pas, il doit rentrer chez lui rejoindre son épouse. Un an plus tard il aura une fille, elle s’appelle Clémentine AUTAIN. Vous la connaissez ?

 

     Mais revenons en arrière. J’en étais au bilan de 1968. De l’autre côté du canal de l’Ourcq dans les années 1968 à 1972 se construisait un grand chantier, une immense cité HLM et un hôpital pour grabataires sur les terres d’une ferme rachetée par la DATAR (aménagement du territoire) et dont la réalisation a été confié à une jeune société d’économie mixte crée pour les circonstances, la SAES. La ferme s’appelait « la ferme de Rougemont » et se situait sur l’actuelle place Marc Sangnier. Ce nouveau quartier s’appellera Rougemont et l’hôpital sera René Muret. De Freinville, je traversais le soir Rougemont pour me rendre chez André Steibli, rue de la Concorde, où nous organisions nos réunions de la section du PCF.

 

     Nous avions à préparer les élections municipales de 1971 et les cantonales de 1974. Avec Roland Thirault qui avait été choisi pour être la tête de liste des municipales de 1971 pour le PCF, nous allions le soir assister dans le public aux réunions du conseil municipal, c’était une bonne école me disait-il, surtout qu’a cette période seule la liste arrivée en tête avait des élus.

 

     Sevran était entrain de passer de 30 000 à 40 000 habitants. Une population de milieu ouvrier arrivait de Paris et de la petite couronne. Chassés de leur vieilles habitations par la construction du périphérique entre Paris & Pantin et celle de l’antenne de Bagnolet (l’actuelle A 3) ces nouveaux sevranais découvraient un logement neuf & agréable pour la première fois de leur vie. Nous devions prendre tous ces éléments en compte pour préparer notre programme « contrat communal » avec eux.

 

 

Episode 8 : A Sevran, les municipales de 1971 approchent... et les cantonales vont suivre

 

 

     Les élections municipales de 1971 approchaient. Les nouveaux Sevranais arrivaient dans de nouveaux logements au milieu de chantiers non terminés. La cité Rougemont n’était même pas terminé que démarrait d’autres cités nouvelles sur les terres des Beaudottes et de Montceleux, deux autres anciennes fermes sevranaises.

 

     Le Maire André TOUTAIN ( S.F.I.O. ) qui cumulait avec le siège de conseiller général était un ancien poudrier. Nous n’avions pas les mêmes opinions mais il était venu comme moi du Sud-Ouest, lui de la poudrerie nationale de Saint Médard en Jalles, près de Bordeaux.

 

     Lorsque TOUTAIN a pris la relève du Maire Claude RUCH il a fait alliance avec des sociaux-libéraux afin d’empêcher les communistes de revenir gérer la ville (plusieurs Maires communistes ont marqué l’histoire de Sevran parmi lesquels Auguste CRETIER, Gaston BUSSIERE et Louis FERNET).

 

     Il avait attribué la place de 1er adjoint à Roland SAVINEL, un cadre de chez Kodak qui se disait social-démocrate mais défendait en réalité la politique patronale. Le 14 mars 1971, 3 listes se présentèrent au suffrage des Sevranais : la liste UDR (gaulliste) conduite par Michel YERETAN; la liste démocratique de gestion sociale conduite par André TOUTAIN qui présente à nouveau son équipe avec Roland SAVINEL et Louis VAYE. Sur cette liste la SFIO n’apparaissait même pas sur les circulaires et les bulletins de vote.

 

 

 

 

     Et notre liste présentée par le Parti Communiste Français, conduite par Roland THIRAULT (qui deviendra entre 1983 et 1989 le 1er adjoint de Bernard VERGNAUD). Sur cette liste de 27 noms figurait Suzanne BUSSIERE, veuve de Gaston BUSSIERE qui fut fusillé par les nazis, et aussi Louis LE MANER, le père de Roger LE MANER mort en déportation. Pour moi qui figurais pour la première fois sur une liste de candidatures politique, c’était un honneur à 27 ans de me trouver parmi ces honorables citoyens. Nous avions obtenu 2471 voix (36%) et il nous manquait 467 voix pour arriver en tête.

 

     Le panachage étant autorisé à cette époque, la liste TOUTAIN avait eu le nom de SAVINEL rayé plus de 130 fois. Et la liste YERETAN n’avait obtenu que 18% des suffrages. Au 2e tour pour faire barrage à la droite dans le département nous avions appelé à voter André TOUTAIN sans grande conviction et de rayer le nom de SAVINEL comme l’avait fait des électeurs socialistes au 1er tour. Ce dernier est très fortement panaché et ne peut rester 1er adjoint, il démissionne.

 

     André TOUTAIN, pris par la maladie n’arrive plus à gérer convenablement la ville. Il laisse à la SAES (société d’aménagement) la maîtrise de tout l’urbanisme de Sevran. Il désigne Louis VAYE comme 1er adjoint pour le remplacer. Les Sevranais sont mécontents. Sevran se bétonne. A cela s’ajoute la construction de la ligne SNCF en tranchée ouverte pour desservir l’aéroport de Roissy-en-France en construction. Des pavillons s’effondrent, d’autres se fissurent lorsque le chantier pompe l’eau de la nappe phréatique (lire mon article dans la revue de la SHVS de novembre 2013). Et une autoroute, l’A 87, est en projet à travers la ville.

C’est dans ce contexte que le Parti Communiste de Sevran me choisit pour être leur candidat aux élections cantonales de 1973. J’obtiens un soutien sans lequel je n’aurai pu mener cette campagne, c’est celui du député Robert BALLANGER.

 

 

Episode 9 : Les élections cantonales de 1973

 

 

     Les Sevranais étaient de plus en plus nombreux à manifester leur mécontentement. Le chantier de la ligne SNCF de Roissy avait des conséquences désastreuses avec l’effondrement de pavillons, l’affaissement ou les fissures dans les quartiers de l’église, des marais et de Perrin.

 

     Le chantier de Rougemont avait du mal à se terminer tandis que commençaient ceux des Beaudottes et du Pont Blanc. Les nouveaux Sevranais devaient mettre des bottes pour accéder aux halls des bâtiments, les voies et les plantations ne figuraient que sur les plans. Sans compter que la ville n’avait aucun équipement pour répondre à la demande de cette population qui approchait des 40 000 habitants. 3 écoles : Crétier, Victor Hugo et Perrin ; un dispensaire sur la place ; un seul gymnase à Lemarchand et un stade Bussière qui devait être vendu à la société RIVAUX pour y construire 3 autres résidences à l’identique de celles des Isabelle, Irène et du stade.

 

     La section du PCF avec le soutien de nombreux Sevranais décide de présenter une candidature aux élections cantonales de septembre 1973.

 

     L’enjeu était difficile : le conseiller général Toutain se représentait. L’UDR présente Michel Yeretan. Tous les deux étaient connus. Robert Ballanger et les anciens souhaitent présenter une candidature jeune, issue des entreprises locales, ils me proposent d’être leur candidat.

 

     Je venais d’avoir 30 ans, j’occupais des fonctions syndicales au C.E. et au C.C.E. de Kodak-Pathé et j’étais depuis peu le premier secrétaire de la section de Sevran du PCF.

 

     Après des hésitations sur cette importante responsabilité je donne mon accord. Je reçois beaucoup d’encouragement dont ceux de Louis Le Maner, Jean-Marie Vieillefond, Suzanne Bussière… Mais aussi des militants de ma génération : Alain Boussac, Jean-Pierre Lemoine, Yves Pellegrino et aussi de très nombreux travailleurs et syndicalistes de Kodak, de Westinghouse. Une campagne électorale en plein été prend beaucoup de temps sur ma vie familiale et ma vie professionnelle (c’était aussi la période de pointe chez Kodak).

 

     J’ai le soutien de mon épouse qui distribue nos tracts à la porte de Westinghouse et de ma fille Myriam (7 ans) qui dit dans son école à Crétier qu’il faut « voter pour son papa ».

 

     Le budget de la section est faible pour financer cette campagne électorale et nous organisons des collectes au drapeau à la gare de Sevran-Livry, devant les usines et au marché, et aussi devant l’Euromarché qui vient d’ouvrir ; la solidarité est généreuse. Il ne faut pas décevoir et nous décidons de jouer la gagne. Un imprimeur de Montfermeil m’offre gratuitement mes affiches sur du papier fluo dans les chutes des affiches de Mammouth.

 

     La droite est inquiète de notre montée, elle rencontre Toutain, Savinel et Vaye. Le lendemain Michel Yeretan (UDR) retire sa candidature, juste quelques jours avant le dépôt des candidatures. Malgré le « programme commun », Toutain (PS) appelle au soutien de l’électorat de droite.

 

    Tous les nouveaux Sevranais ne sont pas encore inscrits sur les listes électorales mais nous sommes nombreux dans nos réunions. Le vendredi 23 septembre 1973, le dernier « meeting » de la campagne dans l’école Crétier qui est trop petite. Je suis accompagné et soutenu par un discours de notre Député Robert Ballanger qui me donne les larmes aux yeux. C’était un grand orateur. Dans la salle s’élève des cris : « on va gagner ! ».

 

     Le dimanche 23 septembre, au soir du premier tour, c’est la proclamation des résultats. Toutain 58% et Prin 42%. La droite ne pourra pas se retirer à chaque fois pour sauver la social-démocratie et faire barrage à la « vraie gauche ».

 

 

Elections cantonales, septembre 1973. Fiche des résultats de Sevran (série K, AM de Sevran)

 

 

     Un jeune de Rougemont, Daniel BEAUFILS, vient me voir à la fin de la soirée. Il se présente comme le nouveau secrétaire de la section du Parti Socialiste. Il me dit qu’il est prêt à tout faire pour qu’en 1977 nous fassions une liste commune dés le 1er tour… avec ou sans TOUTAIN. C’était le temps du Programme Commun de Gouvernement. Nos 2 sections se sont rencontrées de 1974 à 1977...

 

 

Episode 10 : Les élections municipales de 1977

 

     Après les élections cantonales de septembre 1973, la carte politique de Sevran n’est plus comme avant, la ville non plus. La cité de Rougemont est terminée de même que l’hôpital René Muret. Mais aussi la cité des Beaudottes (que nous appelons aujourd’hui les anciennes Beaudottes), et la cité du Pont Blanc avec ses tours et sa cité basse. Les travaux de la ligne de Roissy se terminent avec une nouvelle gare à côté de l’euromarché et du conforama. Un magasin du Printemps est en projet mais ne verra pas le jour. Le nombre d’électeurs a doublé en 10 ans.

 

     Des rencontres se tiennent entre la section du PS et notre section, c’est le « programme commun ». Mais chez les socialistes, après le congrès d’Epinay, ce n’est pas « tout » rose. S’entendre avec les « cocos » passe mal. André Toutain ne veut pas se séparer de ses alliés sociaux-libéraux : Louis Vaye (ex SFIO), Jacqueline Patte, Camille Charnier, Monique Badach, Guy Carini,… tandis que d’autres Francis Decroix, Georges Varennes, acceptent de nous rencontrer.

 

    Leur souci, c’est d’obtenir un large rassemblement autour de la candidature de François Mitterrand aux élections présidentielles du 19 mai 1974.

 

     Le 3 mai 1974, 150 Sevranais se retrouvent dans une assemblée unitaire PCF-PS dans le préau Crétier. André Toutain accepte de présider. A la tribune de gauche à droite Roland Thirault (PCF), Alain Boussac (PCF), Michel Prin (PCF), André Toutain (PS), Daniel Beaufils (PS) et Antoine Imbernon (PS). Au second tour, un autre meeting s’est tenu à Aulnay-sous-bois, présidé par Robert Ballanger, pour l’ensemble de la circonscription qui comprenait à cette période Sevran, Tremblay les Gonesse, Villepinte mais aussi Aulnay-sous-bois et le Blanc-Mesnil.


     Après cette élection où François Mitterrand a été battu par Valéry Giscard d’Estaing, les relations n’étaient plus les mêmes avec André Toutain. Daniel Beaufils, le secrétaire de la section PS nous a informé que la section était divisée sur les questions de l’alliance dès le 1er tour pour les prochaines municipales de mars 1977.

 

     Avec sa maladie, André Toutain avait laissé diriger la ville par son adjoint Vaye qui a laissé la ville aux promoteurs immobiliers et à la SAES. Tout se décidait à la DATAR ( direction de l’aménagement du territoire ). Ce fût un désastre ! Anarchie dans les constructions, l’équipe sortante a fait de cet ancien village de Sevran une ville dortoir, déshumanisée, sans équipements sociaux, sans écoles, sans équipements sportifs et culturels, coupée en morceaux par le canal de l’Ourcq et les voies SNCF (l’actuelle ligne RER Paris-Roissy devait rester une ligne dans une tranchée non couverte comme pour la ligne de Sevran-Livry). La Poudrerie Nationale qui venait de fermer devait être livrée elle aussi à des constructions de logements. La propriété des sœurs avait été rachetée pour y construire un nouvel hôtel de ville, y faire des parkings et des commerces le long de la gare et du marché.

 

     Début 1975, Toutain, Vaye, Patte… refusent toute alliance avec nous. La section du PS de Sevran décide majoritairement de nous rejoindre pour établir une liste d’union de la gauche. Mais il ne peut pas y avoir 2 listes conduites par des socialistes. Nous acceptons l’entente à condition que la tête de liste soit conduite par un communiste. Bernard Vergnaud avait été pendant 18 ans adjoint au maire de Maurice Nilès à Drancy, il avait eu les délégations des sports (président d’art et des sports de Drancy) et du logement (président de l’office HLM de Drancy). Avec le décès accidentel de son fils aîné, il avait décidé avec son épouse Claire d’arrêter ses fonctions électives et de se retirer à Sevran.

 

     L’élection n’était pas gagnée à l’avance face à l’équipe sortante de Toutain, mais il avait « la pêche » et l’expérience qui compte beaucoup pour réussir dans une ville comme l’était devenue Sevran. La campagne électorale a été formidable. Une liste est établie avec Bernard Vergnaud (PCF) comme tête de liste et futur maire. Ensuite il y avait 13 communistes, 13 socialistes dont le 1er adjoint André Delville, 2 radicaux de gauche, 2 PSU et 4 personnalités locales.

 

     Le dimanche 13 mars 1977, c’était la victoire de la gauche à Sevran. Le premier conseil municipal extraordinaire s’est tenu le dimanche 20 mars à la salle des fêtes.

 

     Pour la première fois j’allais porter cette écharpe bleu blanc rouge. Mon père qui avait honte d’avoir un fils communiste m’a téléphoné le lendemain depuis Bordeaux pour me féliciter. Mais s’il disait à son entourage que j’étais maire adjoint, il ne voulait pas dire mon étiquette, cela il me le pardonnait pas.

 

     Quelques jours plus tard nous avions notre premier bureau municipal. C’était maintenant qu’il allait falloir mettre notre programme en pratique…au travail !

 

 

Présentation de la nouvelle équipe municipale. Bulletin municipal officiel, n°1 (1 BIB 28, AM de Sevran)

 

 

Episode 11 : Gagner l'élection, puis tenir ses engagements

 

 

     Résumé de l’épisode précèdent : Nous en étions à l’élection de Bernard Vergnaud et la liste d’union de la gauche le 13 Mars 1977. Après les bons moments où l’on savoure sa victoire, il fallait que les 31 nouveaux élu(e)s se mettent au travail. Le week-end qui suivi l’élection de Bernard Vergnaud et de ses adjoints nous avions décidés de passer le vendredi soir et le samedi toute la journée à l’organisation de nos nouvelles fonctions. Le secrétaire général Jacques Betrancourt, (aujourd’hui on dit le directeur général des services) d’André Toutain allait poursuivre ses fonctions jusqu’à la retraite avec notre nouvelle équipe. Il était venu nous rejoindre dans cette réunion de travail.

 

     Dès le 1er samedi il fallait assurer les mariages et Roland Thirault accepte d’ouvrir cette tâche agréable que nous allions accomplir à tour de rôle. Tout à coup notre réunion est interrompue : le marié s’est disputé avec la mariée et dit NON à la question : « Voulez-vous prendre pour épouse » Que faut-il faire ? Finalement il finit par dire OUI. Pourvu que cela ne nous arrive pas le jour où il faudra célébrer un mariage !

 

     C’est dans les premiers mois que doit se voir le changement. Elu adjoint au sport, avec Bernard Vergnaud, nous rencontrons la société RIVAUX qui allait construire sur le stade Bussière les 4e, 5e et 6e résidences de type Isabelle. Sans attendre, Bernard Vergnaud organise l’élection d’un nouveau conseil d’administration de la SAES et prend la présidence. Par la négociation la ville rachète le stade Bussière qui est sauvé. En même temps il faut stopper complétement la construction de l’autoroute A87 qui va traverser Sevran ; finir la construction du stade (qui deviendra Jean Guimier) ; construire des vestiaires pour la piscine caneton ; finir la construction du 2e gymnase de Sevran (qui deviendra Victor Hugo) et envisager pour les années à venir la construction de 2 autres gymnases : l’un pour les nouveaux quartier des Beaudottes et le collège Evariste Galois ; l’autre pour le quartier Rougemont et le collège Paul Painlevé. Beaucoup de travail en perspective !

 

     Et pour chaque nouvel adjoint il en est de même. Le budget est l’outil principal de nos orientations. Entre 1977 et 1978 nous faisons faire un audit par un organisme indépendant sur nos recettes, nos dépenses, la dette… Il faut bien gérer si nous voulons réussir notre programme ambitieux mais réaliste. En 1977, malgré l’apport de la population nouvelle, nous approchons des 40 000 habitants. Il y avait 4 fois moins d’employés communaux qu’aujourd’hui (autour de 400).

 

     De nombreux services n’existaient pas : le sport dépendait des services techniques ; la culture était assurée par des associations baptisées centre culturel municipal qui comprenaient aussi toutes les fêtes ; la santé se limitait à un dispensaire sur la place Bussière, l’urbanisme dépendait de la SAES et le logement était rattaché à l’administration générale comme l’état civil et les élections. Malgré le fait qu’il y avait 2 grandes entreprises sur Sevran : Kodak-Pathé, Wabco-Westinghouse et plusieurs moyennes entreprises : Miplacol, Silexore, Prestinox, etc… il n’y avait même pas de service économique. Tout était à créer, surtout avec les 2 nouveaux commerces des Beaudottes : Euromarché et Conforama. L’hôpital René Muret prenait de l’importance mais n’avait pas bonne réputation, on disait le « mouroir ». Pour parvenir à changer tout cela il a fallu associer la fonction communale de Sevran à notre projet, nous avions rencontré le seul syndicat à cette période, la CGT des communaux qui dépendait de l’union locale CGT de Sevran.

 

     Dans la dernière mandature de Toutain, la municipalité avait racheté un parc entre le centre-ville et la gare où vivaient les sœurs Saint Vincent de Paul qui enseignaient à l’école Saint Agnès et assuraient un service infirmier dans leur maison. L’équipe Toutain comptait raser le bâtiment et y construire un nouvel hôtel de ville. Bernard Vergnaud a annoncé qu’il y avait d’autres priorités pour Sevran : nous aménagerons le jardin qui deviendra le parc des sœurs et nous conserverons le bâtiment pour y transférer le petit dispensaire de la place Bussière, il deviendra le premier « centre municipal de santé ».

 

 

Ancien dispensaire de Sevran (4 Fi 253, AM de Sevran)

 

 

     Bernard Vergnaud voulait sauver le centre-ville. Il nous propose de racheter la maison du dentiste, Madame le Faou qui devait être aussi rasée, et nous y créons l’office des personnes à la retraite (OPR) qui organise son premier banquet offert aux retraités à ETRETAT. Et jamais 2 sans 3, nous décidons de conserver la belle maison de l’allée de la Smala qui sera la première bourse du travail de Sevran, en attendant de devenir plus tard un foyer de retraités pour le quartier de Freinville : « le Bois du Roi ». Mais ce n’est pas tout...


 

Episode 12 : De 1977 à 1983, le premier mandat de l'Union de la Gauche

 

 

     Cette première mandature avec Bernard Vergnaud (1977-1983) comme maire communiste d’une équipe d’union de la gauche marque un grand changement dans Sevran. Voir les épisodes précédents. Nous passons de « Village » à « Ville », même si le nom de village restera employé par les habitants du nouveau quartier pavillonnaire des Sablons qui profitent de la tranquillité du parc de la poudrerie juste à côté. C’est dans ce quartier des Sablons que Robert Ballanger va venir s’installer au cours de son dernier mandat de député avec son épouse Marie-Hélène. Il se présente au suffrage de sa 8e circonscription aux élections législatives de mars 1978 avec pour suppléant le jeune secrétaire de la fédération de Seine-Saint-Denis du PCF François Asensi.

 

     Robert Ballanger et François Asensi sont des aides précieuses pour notre jeune municipalité. Le 10 octobre 1978 André Toutain décède dans sa maison de St Médard en Jalles où il s’était retiré après sa défaite. Bernard Vergnaud lui rend un hommage dans le n°6 du tout nouveau bulletin municipal ainsi qu’à la mairie.

 

 

Edito de Bernard Vergnaud après le décès d'André Toutain. Bulletin municipal officiel, n°6 (1 BIB 33, AM de Sevran)

 

 

    Il se rend à ses obsèques dans la région Bordelaise et le conseil municipal donne le nom d’André Toutain au prolongement de l’avenue de Lattre-de-Tassigny. Le siège de conseiller général est vacant et le Préfet organise des élections partielles en novembre 1978.

 

     Bernard Vergnaud est élu conseiller général du canton de Sevran : il assure une vice-présidence jusqu’en 1998, année où je le remplace.

 

     Toujours au cours de cette mandature Robert Ballanger continue à assurer sa responsabilité de député de la circonscription, de président du groupe parlementaire communiste à l’Assemblée nationale, et de militant de base dans la cellule du quartier des Sablons. Jusqu’au jour où un matin je reçois un appel de Marie-Hélène son épouse, c’est peu avant la fin janvier 1981. Elle n’arrive pas à joindre Bernard et Rolland. Elle m’annonce que Robert est décédé dans la nuit. Je me rends de suite à son chevet. Le jeudi 29 janvier 1981 c’est l’inhumation au cimetière d’Aulnay-Sous-Bois. Dans les jours qui suivent nous allons nous retrouver à nouveau en campagne électorale pour élire François Asensi comme député et Bernard Vergnaud comme son suppléant. A 35 ans, le 21 juin 1981 François Asensi devient un des plus jeunes députés de l’Assemblée nationale.

 

     Pour poursuivre notre mandat que nous ont confié les Sevranais, à la mi- mandature nous allons tenir des assises. Bernard Vergnaud était attaché à la démocratie communale. Les Sevranais devaient être informés assez tôt de tous les projets afin de pouvoir en débattre. Il instaure les réunions de quartier. Tous les jeudis, en fin d’après-midi, pas question d’être en réunion, dans son bureau ou chez soi. Nous étions sous un barnum été comme hiver (il y avait un chauffage bruyant) pour présenter à l’aide de maquettes et de panneaux d’exposition les projets municipaux. Chaque élu se devait d’avoir un stylo et du papier pour noter toutes les doléances. Tous les quartiers, toutes les rues, y sont passées.

 

     Lorsque nous avions été élus en 1977 nous avions proposé l’ancien dispensaire pour y installer les services annexes de police (rattachés à Aulnay-sous-Bois) de façon provisoire. Une pétition signée par 11 600 sevranais demandait d’avoir un commissariat de plein exercice. 37 ans après, rien n’a changé en ce qui concerne « le commissariat de plein exercice » ! Nous avions tenu un conseil municipal extraordinaire devant le commissariat actuel, puis un autre conseil devant la Westinghouse lorsque les premières menaces de licenciement avaient vu le jour.

 

Lettre du maire après l'inauguration du nouveau commissariat de Sevran, 1989 (18 W 68, AM de Sevran)

 

 

     Bernard Vergnaud et son adjoint PS aux finances, Serge Dufour, déclaraient que le meilleur bilan de cette première mandature, ce qui ne se voyait pas dans la ville mais qui était pour nous le principal, c’était le redressement des finances de la commune. Sans augmenter les impôts au-delà de l’inflation, nous avions fait de nombreuses réalisations & équipements tout en diminuant la dette. Et à cette époque il était normal de voir de nombreuses familles venir s’installer à Sevran. Sevran, son parc forestier, son canal de l’Ourcq, son caractère de village de province était un atout et, de même, les cités étaient agréables à vivre.
 

 

Episode 13 : Retour en arrière sur la Résistance à Sevran

 

 

     Depuis de nombreuses semaines, vous avez suivi mon parcours militants depuis mon arrivée à Sevran. Tout en continuant mon récit, je vais faire un retour en arrière sur la période de la Résistance avant de reprendre l’histoire de Sevran depuis son origine. Pourquoi ? Dans l’épisode précédent, je vous parlais du décès de Robert Ballanger, résistant.

 

     Il faisait partie de tous ces militants qui m’ont beaucoup marqué, beaucoup appris. Il y en avait un autre, Jacques Duclos, qui avait été notre candidat aux élections présidentielles de juin 1969. Il habitait Montreuil et je le cotoyais dans les réunions de notre jeune fédération à Aubervilliers, où j’avais fait la connaissance d’un jeune communiste, François Asensi. Jacques Duclos était venu dans le préau Crétier le 27 avril 1972 pour tirer les enseignements du référendum qui s’était tenu quatre jours plus tôt. Il y avait foule pour l’écouter. Trois ans plus tard, j’assistais à ses obsèques, le 29 avril 1975.

 

     Mais celui qui m’a beaucoup appris sur l’histoire de Sevran, c’était Louis Le Maner, ancien résistant et conseiller municipal, le père de Roger Le Maner, Franc Tireur Partisan arrêté le 17 avril 1942 et mort à la mi-mai 1945, après son retour du camp nazi de Bergen-Belsen en Allemagne. C’était 8 jours après la capitulation. Louis habitait un petit pavillon dans la rue qui rend hommage à son fils, entre l’actuelle retoucherie et la maternelle Crétier, au 14 d’anciennement la rue des Ecoles. Entre 1967 et 1982, j’allais souvent lui rendre visite et j’avais le même plaisir à l’écouter que nous avons le plaisir aujourd’hui d’écouter Denise Albert, aujourd'hui décédée, nous parler de ces sombres moments de l’Histoire. Louis est décédé à 83 ans, le 19 novembre 1982.

 

     D’autres anciens militants ou leurs enfants nous parlaient aussi de cette période : Roland Thirault dont le père a été conseiller municipal, comme Paulette Vieillefond qui complétait la mémoire de son père Jean-Marie, le fils d’Auguste Crétier et la mère de Lucien Gelot que j’ai connu tous les deux comme collègue à Kodak…

 

     En juillet 1974, je participais à la rédaction du journal « La Renaissance », hebdomadaire édité par les sections du PCF de l’ancienne Seine-et-Oise, de Noisy-le-Grand au Blanc-Mesnil. Pour marquer les 30 ans de la Libération de Sevran, nous avions interviewé Louis Le Maner, Suzanne Bussière, la veuve de Gaston, et Lucien Geneux. Je vous livre des extraits de cette interview que j’ai conservée :

 

« notre parti devait continuer à vivre, et par sa présence, par son activité, faire preuve de son patriotisme. Nous diffusions à Sevran L’Humanité clandestine, des tracts, nous organisions la résistance et le sabotage de la production industrielle…Ces tracts étaient imprimés à Sevran par nos camarades Dolmeyer, Urbain, Veron et Bussière, ainsi qu’un militant socialiste, Bracelet. A Sevran, la Poudrière fut un point d’appui précieux. Nous en sortions au nez et à la barbe des gardiens allemands toutes sortes de produits utiles à notre lutte : poudre, cordons Bickford et phosphore… Les FFI de Sevran étaient organisés par groupe de cinq. Il y avait neuf groupes… C’était dans la journée du 27 août 1944 que les américains et plusieurs détachements de FTP et de FFI abordèrent Sevran. Des volontaires républicains espagnols marchaient en tête de ces détachements. Les combats durèrent plusieurs jours ; les Allemands retranchés dans la plaine entre Sevran et Villepinte bombardèrent Sevran, faisant une dizaine de morts et plusieurs blessés. Le petit Benjacar, 10 ans, eut la tête emporté par un obus. Les communistes de Sevran ont payé un lourd tribut. De nombreux camarades ont été emprisonnés. La plupart des élus communistes ont été envoyés aux camps de la mort et ne sont jamais revenus, comme Jean Cayet, Gaston Lévy, Georges Denancé, Maurice Métais, André Mortureux, André Rousseau et Charles Véron. Lucien Gelot, 17 ans, engagé dans les FFI, suivit le Colonel Fabien et tomba en Alsace. Bruno Banker, 20 ans, poursuivant les Allemands avec un groupe de FTP, est tombé tout proche du pont du canal. Lucien Sportiss, instituteur à Sevran, est tombé au maquis dans la région de Lyon. Jean Hemmen, l’oncle de Denise Albert et de Paulette Descoins, officier de la brigade internationale en Espagne, fusillé …»

     J’ajouterai pour terminer ce récit de Suzanne Bussière :

 

« Un soir, mon mari prévenu par des camarades ne rentra pas chez lui et échappa ainsi à une arrestation certaine. Le comité national de la Résistance l’envoya alors dans l’Aisne, puis retour sur Paris pour une mission importante. Après l’arrestation de plusieurs camarades, il partit sur Villeneuve Saint-Georges et fut arrêté à son tour le 18 juin 1942 et fusillé au Mont-Valérien »

     Louis le Maner, avant de me quitter, ajoute :

 

« Il y a eu ces résistants, mais bien d’autres sevranais sont restés anonymes, qu’il ne faut pas oublier, comme le Docteur Rossel, qui soignait nos blessés avec tant de dévouement »

     Le jour de cette interview, j’avais 31 ans. En les écoutant, je pensais à mon seul oncle, Maurice Prin (1916-1943) sergent-pilote mort au champ d’honneur, abattu à Ras-El-Has près de Fez au Maroc…13 jours avant ma naissance. Il figure au monument aux morts de Bordeaux, comme tous ces sevranais quoi sont dans le cimetière de Sevran.