Un soir d'octobre 1942, la vie de Daniel Gersztenkorn, alors âgé de 4 ans et installé depuis peu à Sevran en compagnie de ses parents et de ses soeurs, va définitivement basculer. Alertés qu'une rafle allait avoir lieu à Sevran, les parents du jeune Daniel ainsi que Slavko Zaffani, le Sevranais qui les hébergait, mirent au point un subterfuge qui allait leur sauver la vie. Découvrez cette histoire en parcourant le récit autobiographique d'un témoin direct du quotidien des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale...
Je m’appelle Daniel Gerstenkorn. Je suis né le 17 juin 1938 à Paris dans une famille juive émigrée de Pologne. 4ème enfant de la fratrie, aîné de mes 2 frères, Michel né le 22 mars 1945 à Albi et Jacques, né le 12 août 1949 à Fontainebleau, 4 sœurs nées à Paris, Annette, le 12 octobre 1932, Rosette, le 2 janvier 1934, Rachel, le 28 juin 1937, et Jeanine, le 16 mars 1942.
Sevran 1942, de gauche à droite :
Rachel 5 ans, Daniel 4 ans, Annette 10 ans
et Rosette 8 ans
Mes parents sont nés à Varsovie, ma mère le 20 novembre 1910 et elle est décédée le 17 octobre 1983 à Fontainebleau. Mon père le 30 juillet 1911 et il est décédé le 30 septembre 1987 à Fontainebleau. Ils reposent au cimetière Israelite de Fontainebleau.
Mon père est arrivé avec ses parents, sa sœur aînée Marie et son jeune frère Léon en France après la Première Guerre mondiale vers 1919/1920. Comme beaucoup d’autres, sa famille et lui rejoignent la communauté juive à Paris dans le 20ème arrondissement, entre Belleville et Ménilmontant (Ménilmuche). Comme la plupart des jeunes Parisiens, mon père Abraham était un vrai « Titi ». Il avait fait un apprentissage sérieux de tailleur pour hommes et femmes dès son adolescence.
Léon, mon oncle paternel
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Jacob, mon grand-père paternel
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Chaye, ma grand-mère paternelle
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A cette époque la vie était très difficile pour eux, mais au moins ils ne subissaient plus les persécutions (pogroms) qu’ils avaient connues à Varsovie. En Pologne, les conditions économiques étaient extrêmes : pour survivre ma grand-mère transformait et arrangeait de vieux vêtements avant de les vendre. Arrivée en France la famille continua à travailler dans les vêtements usagés.
Compte tenu de la présence d’une communauté juive à Fontainebleau, à majorité Ashkénaze, ils s’y installent dans les années 1930. Ainsi ils créent un commerce de vêtements de travail pour les marchés de Fontainebleau et Melun. Ils se déplacent avec leurs marchandises dans une voiture à bras et prennent le train pour se rendre à Melun.
Ma mère a vécu à Varsovie jusqu’à 20 ans, elle a étudié dans une école polonaise laïque. Elle était très fière car elle avait appris le Français. C’était la langue noble et distinguée pour les Polonais. Son père avait une belle situation il était coupeur dans la chaussure et possédait 2 magasins, un à Lemberg (connue aussi sous le nom de Lvov et aujourd’hui de Lviv) en Galicie (actuellement Ukraine) et l’autre à Cracovie. Ils n’étaient pas malheureux sur ce plan là, mais l’antisémitisme était très virulent et violent.
Malgré tout ils décidèrent de partir pour la France espérant trouver un pays où les Juifs pourraient vivre en paix et sans crainte, comme dit le dicton : « Heureux comme Dieu en France » - France Terre d’Accueil -. Mon grand père Feyvel Leszgold arrive en France en 1929 avec un contrat d’embauche dans une usine de moteurs à gaz. Un an plus tard, il fait venir sa famille et ils s’installent à Mont-Saint-Martin près de Longwy dans la région de Nancy. La grande crise économique de 1929 va changer la situation de la famille, et celle-ci dut trouver un emploi dans les faïenceries de la région Lorraine. Contrairement à la famille de mon père ce sont des gens très respectueux des traditions juives et pratiquant le Judaïsme.
Fuyant la vie provinciale et attirée par la ville Lumière ma mère décide d’aller vivre à Paris. Elle y retrouve sa sœur aînée Esther, mariée en Pologne avec Joseph Fernebok. Elle était déjà maman de deux garçons : Henry et Jacques (Henry l’aîné trouva la mort au combat en 1948, au début de la guerre pour la création de l’État d’Israël). Sheive ma mère rencontre mon père parmi un groupe d’amis de sa sœur. Ils se fréquentent, et après six semaines, décident de se marier selon les traditions du judaïsme ashkénaze, imposées par ma grand-mère paternelle. Mon père s’installe comme tailleur rue Rébéval dans le 20ème arrondissement de Paris.
Ils sont heureux d’avoir enfin trouvé le pays des Droits de L’Homme ; hélas la xénophobie et l’antisémitisme vont les rattraper. Le Front Populaire n’arrangera pas l’affaire du « Juif ».
En septembre 1939, c’est la drôle de guerre et mon père, Polonais de nationalité, s’engage volontairement dans un des régiments de la légion étrangère, (21 octobre 1939 12ème RM 2ème bataillon) seule unité pour les étrangers en France. Il est fait prisonnier le 11 juin 1940 et interné au camp de Hirson dans l’Aisne, d'où il s’évade le 18 juillet 1940 (cf infra carte d’ancien combattant). Son jeune frère Leib (Léon) s’engage également dans le 21ème régiment de marche des volontaires étrangers.
Dès le début de l’occupation allemande et de la collaboration du gouvernement de Vichy, et à cause des décrets anti juifs, la peur revient plus forte et la crainte de se faire arrêter pour faute d’être né Juif. Au printemps 1940, c’est l’exode et nous partons nous mettre à l’abri à Catusseau (Gironde), mon père nous rejoindra après son évasion. A l’automne 1940, nous revenons près de la capitale, et par commodité décidons de rester à Fontainebleau là où demeurent mes grands-parents paternels. Nous vivons donc quelques mois avec mes grands parents. Mes deux sœurs Annette et Rosette, qui sont plus âgées, vont à l’école primaire de la rue Saint Merry de Fontainebleau. Mon oncle Léon va chercher mes sœurs à la sortie de l’école.
Après la grande rafle du 16 juillet 1942 mon père décide de nous installer à Sevran (Seine et Oise, aujourd’hui en Seine-Saint-Denis). Les menaces de rafles permanentes, la chasse aux Juifs étrangers de plus en plus virulentes, ont incité mes parents à prendre la décision de s’éloigner de la capitale.
La perspective d’un climat meilleur pour la santé, dans cette banlieue encore champêtre à cette époque favorise un déménagement qui devait s’avérer providentiel.
Nous vivions en appartement dans un immeuble avec d’autres locataires, surtout Arméniens. Le propriétaire, Slavko Zaffani d’origine bosniaque est également tailleur, comme d’autres Arméniens. Cette proximité professionnelle et ethnique favorise une entente amicale. Mais c’est une période de peur, les gendarmes viennent plusieurs fois à la maison pour arrêter mon père qui réussit pourtant à leur échapper. Mes deux sœurs aînées âgées de 8 et 10 ans vont régulièrement à l’école Victor Hugo. Ma sœur Rachel et moi sommes inscrits à l’école maternelle où nous n’allons que rarement. Cette école conserve encore les registres de présence où figurent les noms de ma sœur et moi.
Nous ne sommes pas en très bonne santé du fait des restrictions, notre alimentation, inadaptée à notre âge, entraîne des carences. Un jour des gendarmes accompagnés de la Gestapo entrent dans l’école pour arrêter les enfants juifs. Les institutrices des classes de mes grandes sœurs leur donnent immédiatement des tabliers pour cacher l’ignominie de l’étoile jaune cousue sur leurs vêtements. Une autre fois, c’est moi qui me retrouve le dos au mur avec d’autres garçons et l’obligation de me déculotter. Je ne me souviens plus comment j’ai échappé à ce contrôle. Selon le souvenir de ma sœur Rachel âgée d’un an de plus, elle réussit à se sauver pour avertir ma mère qui n’était pas très loin.
Au cours du mois de septembre 1942 les arrestations s’intensifient, mon père entreprend de demander de l’aide au secrétaire général de la mairie, André Dupré, qu’il sait dans la résistance depuis la première heure. Il accepte de nous fournir des faux papiers au nom de Blanchard. Mon père, Abraham, devient Albert, ma mère Sheive, Suzanne, et ma sœur Rachel, Nicole. Il nous obtient également des faux certificats de baptême catholique. Mon père participe à une action de résistance, le sabotage d’un train allemand de munitions, mission dangereuse, mais seul moyen de prouver sa reconnaissance à la France qui l’a accueilli.
Slavko Zaffani, notre propriétaire-tailleur, a en cette période de pénurie, créé une petite exploitation agricole comprenant quelques vaches, porcs et volailles. Un évènement providentiel et inattendu est à l’origine de notre salut. Un officier de la gendarmerie remarque un cheval errant dans les rues de Sevran et propose à Slavko Zaffani, désormais fermier, de bien vouloir le prendre en charge jusqu’à ce que l’on retrouve son propriétaire. Il accepte volontiers et le soigne comme ses autres animaux. Le gendarme vient assez souvent prendre des nouvelles de la jument et en profite aussi pour acheter du lait de la petite ferme. C’est ainsi qu’une relation amicale s’est tout naturellement établie entre les deux hommes.
Slavko Zaffani et son cheval "Providence"
Un jour, vraisemblablement autour de la rafle du 26 octobre 1942, le gendarme, en venant chercher son lait, informe le propriétaire qu’il va y avoir une arrestation dans la nuit, mais sans lui en dire plus, il s’en retourne chez lui. Immédiatement Slavko Zaffani prévient mes parents et leur dit de mettre l’appartement en désordre pour faire croire à un départ précipité. Il entreprend de nous cacher sans perdre un instant. Et nous nous retrouvons dans les combles de l’étable, sorte de soupente. Nous sommes alors cinq enfants et la dernière, Jeanine n’a que six mois. Ma mère a même envisagé le pire : étouffer les cris du bébé sous un oreiller pour ne pas être pris.
Cette nuit là, la gendarmerie accompagnée de la Gestapo, entre violemment en affirmant à Slavko Zaffani « Il y a une famille juive chez vous ! ». Celui-ci répond très tranquillement : « Oui mais ils sont partis sans me prévenir et voyez dans quel état ils ont laissé le logement ! ». Les forces de gendarmerie continuent à fouiller pendant un long moment en frappant à toutes les portes et en hurlant comme des sauvages.
Les jours suivants de cette nuit de terreur, nous avons certainement dû être accompagnés jusqu’à la gare d’Austerlitz pour prendre le train qui nous emmènerait dans une région où nous pourrions vivre libres sans être recherchés. Mais nous étions encore loin de la liberté et de la sécurité, malgré le précieux sésame de notre nouvelle identité (Blanchard). Il fallait désormais apprendre à se souvenir de ce magnifique nom parfaitement français. À cette époque la ligne de démarcation existait toujours et se situait à Vierzon, dans le Cher. Plus pour longtemps, car en novembre toute la France était occupée par les nazis.
Le 26 octobre 1942 la gendarmerie française procède à l’arrestation de 86 Juifs venant de Sevran, Aulnay, Livry-Gargan et Villepinte. Ils sont rassemblés dans la cour de l’école Victor Hugo à Sevran. Trois jours plus tard ils sont transférés à Drancy et déportés à Auschwitz par le convoi du 11 novembre 1942.
Nous sommes donc dans le train pour rejoindre ma tante, la sœur de mon père. Mais il faut passer cette ligne de démarcation pour être enfin libres... Le train s’arrête en gare de Vierzon, je me souviens très vaguement encore de ces gens qui étaient descendus sur le quai. Il y avait beaucoup de bruit, on entendait des cris, des pleurs, des appels en yiddish et des ordres sûrement de la police. Un officier allemand entra dans notre compartiment pour contrôler nos papiers d’identité. Il faisait nuit et il n’y avait que des veilleuses pour éclairer cet espace. L’officier éclaira avec une lampe de poche le visage de mon père tout en lui demandant ses papiers. La tension était à la limite du supportable, il tentait de faire diversion pour ne pas faillir. Il s’adressa à ma mère lui disant qu’elle avait les papiers. Elle lui fit un geste en mettant un doigt sur ses lèvres pour lui rappeler d’éviter de parler à cause de son accent yiddish. L’Allemand braquait sa lampe sur les pièces d’identité et le visage de mon père, cela dura une éternité, on avait l’impression qu’il venait de découvrir notre véritable identité.
A ce moment de pression intense, mon père qui avait ma petite sœur Jeanine âgée de six mois sur ses genoux, lui pinça plusieurs fois violemment la cuisse. Elle se mit à hurler si fort que tout le train devait l’entendre. Le SS redonna les papiers à mon père et continua les contrôles auprès d’autres familles hélas moins chanceuses. Enfin nous étions passés au travers des mailles du filet pourtant serrées. Dans ce même compartiment il y avait des gens (non Juifs) qui avaient assisté à la scène et, ayant compris la situation, nous ont immédiatement apporté leur sympathie, leur réconfort, offert quelques victuailles pour nous soulager et nous réconforter.
Dans le Tarn en 1943 avec mon oncle Camille toujours vivant (93 ans),
le frère de ma mère : à sa gauche Annette, 11 ans, à sa droite
Rosette, 9 ans, devant à gauche Rachel, 6 ans à droite Daniel, 5 ans.
Nous sommes donc en zone « libre » dans le Tarn où nous sommes cachés d'octobre 1942 à novembre 1944 dans une maison au Lieu-dit Ladière, dépendant de Lacaze (petite commune dans l'arrondissement de Castres, à 40 km d’Albi) appartenant à Mme Raissiguier, veuve de la Première Guerre mondiale. Nous retrouvons ma tante Marie, la sœur ainée de mon père qui avait quitté Paris pour se cacher dans cette région suite à l’arrestation et déportation de son mari Léon Lenzner. Son fils aîné, Simon, âgé de 16 ans, venait d’être arrêté et interné à Drancy, son père s’y rendit immédiatement et prit la place de son fils qui fut libéré en échange. Mon oncle fut assassiné comme les six millions d’innocents, coupables d’être nés Juifs, mais il avait sauvé son fils.
En novembre 1944 nous avons emménagé à Saint-Pierre de Trivisy, chez Mme Salvignole, jusqu’à notre retour en août 1945. Nous participions aux festivités villageoises pour ne pas paraître différents. Cette partie de mon enfance fût cependant heureuse et j’en garde encore aujourd’hui une image très nostalgique.
Nous avons vécu pendant 3 ans clandestinement dans cette région du Tarn jusqu’à la Libération totale de la France. Il fallait rester prudent, être toujours vigilant car il y avait des braves gens bien sûr mais nous restions des étrangers suspects. Alors on donnait le change. A titre d’exemple, mes sœurs ainées Annette et Rosette acceptaient de participer à une procession à la Vierge le jour de la Pentecôte ; ou bien c’était mon père et un cousin qui avaient été désignés pour nettoyer la statue ajoutant quelques commentaires en yiddish pour un peu d’humour en ces temps si noirs. Mon père tailleur fabriquait des vêtements pour des résistants.
Nous sommes revenus en août 1945 à Fontainebleau, mon père espérait retrouver ses parents et son jeune frère : hélas, ils avaient été dénoncés et déportés. Mes grands parents maternels assignés à résidence forcée le 3 décembre 1940 avaient été évacués à Saint Sauvant (Vienne) près de Poitiers. Le 15 juillet 1941 ils ont été amenés, avec 800 familles juives, au camp de détention de Poitiers, puis transférés au camp de Pithiviers pour une destination finale à Auschwitz. Seul mon oncle Camille réussit à s’échapper le 21 Décembre 1941.
La famille de retour à la liberté en août 1945 dans une villa aujourd’hui mairie d’Avon.
Partant du haut à gauche : un soldat juif américain qui a assuré le transport en Jeep depuis
la gare jusqu’à cette villa, Rosette, Daniel, Annette, Thérèse une assistante sociale derrière
Annette ; Au premier rang en bas : ma sœur Rachel, ma mère avec Michel né en
mars 1945 dans ses bras, et mon père avec ma petite sœur Jeanine sur ses genoux.
Nous étions des réfugiés démunis de tout, mon père voulut récupérer le logement de ses parents dans la rue de France, au dessus du restaurant à l’enseigne « chez Arrighi » à Fontainebleau. Il était occupé par un officier américain qui souhaitait demeurer le plus près de son état major. En contrepartie on a offert de nous loger dans une villa somptueuse qui est aujourd’hui la mairie d’Avon. Ce fût une période magnifique je découvrais au deuxième étage une pièce remplie de jouets de toutes sortes dont une voiture à pédale. Cette villa était meublée dans un style Louis XVI, il y avait de beaux salons, un très grand billard français, de très grandes chambres et une cuisine genre office des grandes maisons bourgeoises. Il y avait aussi une véranda qui donnait à l’arrière sur un très grand terrain où je jouais avec un petit voisin devenu mon copain.
Le 1er octobre 1945 je rentrais vraiment pour la première fois à l’école de la place Carnot (devenue depuis mai 2015, l’école Paul Mathéry du nom du secrétaire de mairie reconnu comme Juste parmi les Nations en 2002 par le Comité Yad-Vashem de Jérusalem). Ce premier jour dans la classe fut pour moi la révélation que nous n’étions pas acceptés. L’instituteur fit l’appel des présents, lorsqu’il me regarda en m’appelant Gersztenkorn, je ne répondis pas, j’attendais qu’il m’appelle « Blanchard ». Il insista en me disant : « Alors tu ne sais pas ton nom ? Tu t’appelles bien Gersztenkorn et tu es un youpin ! ». J’étais perdu et malheureux j’avais même honte parce que j’étais Juif. Donc je n’étais pas comme les autres enfants. Je ne savais plus quel était mon nom. Ce fut un long moment de solitude et me sentis humilié. A la récréation toute la classe riait et se moquait de moi en répétant tous ensemble : "il ne connaît pas son nom ! »
En rentrant déjeuner je racontais ce qui venait de se passer en classe, mon père ne put supporter ce que je venais de subir. Il m’accompagna à 13h30 et obligea l’instituteur devant toute la classe et ses collègues à se mettre à genoux en demandant pardon. Il le menaça avec son pistolet qu’il avait gardé de la période de la résistance dont il faisait partie dans le Tarn. La police fût appelée pour calmer mon père qui ne pouvait plus garder son sang froid, tant cette injure était insupportable. Mes sœurs également étaient souvent l’objet d’insultes, et de jets de pierres. Ma sœur Rachel qui jouait à la balle sous le porche de l’église avait malencontreusement cassé une vitre. Le prêtre la gifla vigoureusement en lui disant sur un ton de colère : « Pas de Juive devant mon église ! ».
Nous avons été obligés de quitter cette maison car la commune venait de l’acheter pour en faire la mairie. Nous avons été relogés dans la maison qui est derrière l’emplacement de la synagogue de Fontainebleau. Ce n’était plus cette somptueuse villa bourgeoise mais une vieille maison sans confort qui avait été vraisemblablement la maison du rabbin ou du bedeau avant la guerre. La synagogue avait été incendiée (non pas par les nazis comme on a voulu nous faire croire, mais par des voyous stipendiés par des commerçants très intéressés par l’emplacement proche du château, en vue de l’extension de l’hôtel voisin).
Synagogue de Fontableau, incendiée en avril 1941
Je suis très attaché à cette maison par les souvenirs de mon enfance où j’ai vécu jusqu’en septembre 1957 date à laquelle nous avons emménagé dans un appartement des immeubles qui venaient d’être construits dans le quartier du Bréau de Fontainebleau. C’est un plaisir et un honneur chaque fois de participer aux grandes fêtes avec la communauté Juive Séfarade arrivée en 1962 d’Afrique du Nord. Etant musicien clarinettiste amateur, j’ai le plaisir de donner des concerts pour Hanoukka dans cette synagogue reconstruite depuis 1965.
En 1951 sur le terrain où se situait la synagogue,
ma sœur ainée Annette 19 ans décédée en décembre 1984,
et moi 13 ans débutant la clarinette
J’ai entrepris depuis plusieurs années des démarches pour retrouver les descendants de Slavko Zaffani qui a eu ce courage immense de mentir la nuit de cette rafle pour nous sauver de l’extermination incontournable qui nous était réservée. Je suis heureux d’avoir pu retrouver l’un des fils de notre sauveur. Il demeure à Mandelieu-La Napoule dans les Alpes Maritimes. Ce fut un moment d’émotion extraordinairement intense au moment des retrouvailles en juillet 2015, 73 ans après.
Aujourd’hui encore Georges Zaffani l’un des trois fils de notre sauveur, se souvient de cette nuit très agitée. Il demanda à son père le lendemain matin la raison de tout ce vacarme, et la réponse fut simplement : « Ce n’est rien c’est la famille Gersztenkorn qui à déménagé » Il ne voulait surtout pas lui donner d’explications. Georges n’avait que 9 ans et à cet âge là il est facile de raconter trop d’histoires à l’école. Ce n’est qu’en 1945, à la Libération, qu’il a tout appris, son père racontait désormais à des amis qu’il avait sauvé une famille Juive, mais qu’il ignorait ce qu’elle était devenue.
Aujourd’hui le Comité Yad Vashem à Jérusalem vient de reconnaitre Slavko Zaffani comme Juste parmi les Nations. La cérémonie pour la remise de la médaille des Justes par l’ambassadeur d’Israël a eu lieu le 4 décembre 2016 à Mandelieu La Napoule. Ce sera pour moi un des plus beaux jours de ma vie après celui de mon mariage. Son nom figurera sur le mur des Justes à Jérusalem dans la liste avec les milliers d’autres. J’ai œuvré de la même manière pour constituer un dossier à la mémoire de André Dupré, secrétaire générale de la mairie de Sevran durant l’Occupation auprès du Comité Yad-Vashem à Jérusalem. Nous attendons la réponse !
Liste des membres de ma famille exterminés :
Du côté de mon père Abraham (Albert) Gersztenkorn
Son frère Leib Gersztenkorn né le 11/01/1915 à Varsovie, coiffeur de profession. Il habitait au 38, rue Bisson dans le 20ème arrondissement à PARIS. Déporté à Auschwitz par le convoi n° 46 au départ de Drancy le 09/02/1943, assassiné à Auschwitz.
Sa mère Ita, Chaye Gersztenkorn, née Kwaterka en octobre 1887 à Varsovie, assassinée le 11 novembre 1942 à Auschwitz.
Son père Jacob Gersztenkorn, né le 3 août 1886 à Varsovie assassiné le 11 novembre 1942 à Auschwitz
Martha Gersztenkorn née le 04/07/1923 à Varsovie. Déportée, assassinée à Auschwitz par le convoi n° 48 au départ de Drancy le 13/02/1943. Elle habitait au 33, rue Frémicourt dans le 15ème arrondissement à PARIS.
Pesac Gersztenkorn né le 29/03/1904 à Varsovie. Déporté, assassiné à Auschwitz par le convoi n° 04 au départ de Pithiviers le 25/06/1942. Tricoteur de profession. Il habitait au 17, rue François Miron dans le 4ème arrondissement à PARIS.
Du côté de ma mère Sheive (Suzanne) Leszgold, épouse Gersztenkorn)
Sa sœur Frida, ses frères Salek, Camille et leurs parents se sont retrouvés à Bordeaux et ont été assignés à résidence forcée. Le 27 juillet 1942, la famille Leszgold fut envoyée à Pithiviers, puis assassinés à Auschwitz. Mon grand-père : Feyvel Leszgold né le 10 mai 1878 à Varsovie et assassiné en 1942 à Auschwitz. Sura Golda Lipshitz, seconde femme de Feyvel née en 1887 a Radom assassinée en 1942 à Auschwitz. Joseph Fernebok le mari de Esther (sœur de ma mère) fut interné à Beaune La Rolande et déporté vers les camps de la mort où il fut assassiné.
Ma tante : Ida Leszgold, fille de Feyvel née en 1901 probablement assassinée à Auschwitz, restée en Pologne, épouse de Mates Voda, deux enfants, une fille et un garçon. Elle ne voulait pas émigrer en France avec le reste de la famille en 1929. Ma tante : Frida Leszgold, fille de Feyvel 1904-1942, Auschwitz Ma tante par mariage : Antje Leszgold, femme d’Isaac Leszgold, arrêté le 16 juillet 1942 et transféré au Vel D’hiv puis à Auschwitz via le camp de Drancy avec son fils, Henri. Elle avait une relation amoureuse avec Albert Zelago (son mari Isaac était mort en 1930) qui s’est échappé et plus tard a épousé Hester Leszgold, la sœur de ma mère. Le cousin de ma mère : Henri Leszgold, fils d’Antje 1938 -1942 Mon oncle par mariage : Joseph Fernebok, époux d’Hester Leszgold, né en 1905, assassiné en déportation. Interné à Beaune la Rolande en France. Il était le père de Henry et Jacques Mon oncle Salek Leszgold, fils de la deuxième femme de Feyvel, frère de Camille, né en 1924 à Varsovie-1942 assassiné à Auschwitz. Mon oncle Camille s’est échappé le 21 Décembre 1941, sans le dire à sa famille. Camille a survécu il a aujourd’hui 94 ans.